Les Putes veulent s'organiser "comme des artisans" (1/2)Ils et elles ont librement choisi le « sexwork » et réclament une réglementation de leur profession. Une enquête en deux volets.
« Putes », c'est ainsi qu'ils et elles veulent être désignés, parce que « femme prostituées » a une connotation subie. Les fondatrices de l'organisation militante « Les Putes » affirment avoir choisi le sexwork, et revendiquent en conséquence une réglementation de leur profession.
A l'occasion des
Assises européennes de la prostitution, qui se tiendront au Théâtre de l'Odéon le 20 mars, le tapin entend porter le débat sur la place publique.
Disponible depuis le mois de janvier sur la toile, un nouveau portail brésilien crée l'émotion :
Wikigp.com. Un vrai catalogue de prostituées, qui propose photos, mensurations, tarifs, pratiques, et notes des clients.
« Pourquoi pas », tempère Cadyne, 27 ans. A la façon des rappeurs US qui, pour désamorcer l'insulte, s'appellent « Nigger » (nègre) , elle exige d'être présentée comme « pute », assumée depuis huit ans, mère d'une petite fille et étudiante en double cursus Droit-Sciences Politiques. Des traits tirés lui confèrent une beauté un peu tragique.
« C'est beaucoup moins faux-cul et bien-pensant que les sites de rencontres connus du milieu, sur lesquels les “escorts” font leur communication. »
Cadyne est une « traditionnelle » : française, blanche et en règles ; et bien payée en général : 300 euros de l'heure.
Tarifs minimum, sécu et médecine du travailLes lois sur le proxénétisme rendent toute existence légale d'une organisation de prostituées périlleuse, notamment pour la perception de cotisations, l'anonymat des militant(e)s ou la médiatisation de leurs activités. « Les Putes » se définissent comme un « groupe d'activistes », fondé en 2006, et ne peuvent donc pas se constituer en association.
Leur
site Internet affiche 424 membres, dont un bon tiers se compose de curieux, de clients potentiels, de sympathisants.
Cadyne a rejoint « les Putes » dès leurs premières manifestations et la mise en place des états généraux de la prostitution, il y a trois ans.
Elle demande des droits : des tarifs minimum, une sécurité sociale, une organisation professionnelle, une médecine du travail, et une reconnaissance sociale :
« Et pourquoi pas un service public de la prostitution, un remboursement de nos prestations avec les handicapés par la Sécu. »
Le mythe de la « pute polonaise »Payer pour du sexe n'est pas interdit en France. Les prostituées peuvent, et doivent, déclarer leurs revenus en bénéfices non commerciaux. Mais la pénalisation du « racolage passif » avec la
Loi de sécurité intérieure (LSI Art. L50) de mars 2003, oblige ceux et celles qui en vivent à se cacher plus loin. Le délit de racolage peut être puni de deux mois de prison et 3 750 euros d'amende.
Depuis l'entrée en vigueur de la LSI, la Police urbaine de proximité francilienne a procédé à 12 900 arrestations. Les « putes » se dénombrent à la contravention, elles sont stigmatisées par la morale et exercent clandestinement.
Cette situation crée des tensions de trottoir, entre les sans papiers et les traditionnelles : une guerre des prix s'engage, on s'accuse d'attirer la police, on se dispute les emplacements, le dumping menace. La baisse des revenus entretient le mythe de la « pute polonaise », sur le modèle du fameux plombier. Entre deux bouffées de cigarette, Cadyne lâche :
« Je voudrais que nous puissions travailler un peu comme les avocats, dans un cabinet dont on partage le loyer, sans patron, et avec une protection sociale. Ça se fait en Suisse. »
Dans certains cantons, comme à Genève, on travaille avec un permis, on est déclaré auprès des autorités. Le tapin peut donc s'organiser, bénéficier des assurances maladie, d'une prévention hygiénique et médicale efficace, avoir une retraite, des bulletins de salaires parfois. Vivre presque normalement en somme, parce que la morale n'évolue que lentement.
Pour Françoise Gil, chercheure en sociologie à l'EHESS et co-organisatrice des assises européennes de la prostitution :
« C'est la preuve que c'est possible. C'est l'opprobre et la clandestinité qui créent l'essentiel des horreurs du métier, et favorisent l'emprise des réseaux de proxénètes sur le marché du sexe. Il faudrait une organisation sur le modèle de l'artisanat, un syndicat comme il en existe aux Pays Bas. »
« Un statut légal est nécessaire »Sous couvert d'anonymat, un haut gradé de la Brigade de répression proxénétisme (BRP) qui s'emploie depuis quatre ans à traquer les exploiteurs du travail sexuel en Ile de France, confirme en partie :
« En faire un métier d'un seul coup, c'est aller un peu vite, car les expériences de groupes autogérés tournent régulièrement à l'avantage de l'une des filles, qui devient de fait proxénète. Mais la reconnaissance d'un statut légal est nécessaire pour les indépendantes, cela offre une alternative sérieuse à la misère du trottoir et prépare les mentalités à évoluer en douceur. »
En Hollande, la prostitution est légale depuis 2000. Comme au Danemark, les travailleuses du sexe y paient la TVA à 19%, des impôts sur le revenu, ont un statut, même si les conditions de travail restent souvent difficiles. Passes à la chaîne, licenciement abusif en cas de refus, racket, n 'épargnent pas les bordels du quartier rouge d'Amsterdam.
Un petit syndicat y à été créé, De Rode Draad -le Fil Rouge- par une fille de joie en retraite, Mariska Majoor. Elle perçoit une centaine de cotisations régulières.
Mais toutes les prostituées ne veulent pas de ce genre d'organisations et sont attachées à la discrétion comme à l'indépendance. Pour le sociologue du CNRS Lillian Mathieu :
« Le monde de la prostitution recouvre des situations tellement variées, qu'il est difficile de fonder un statut pour cette activité. Or en France les syndicats ne protègent que les travailleurs salariés. »
Pour Cadyne :
« Celles d'entre nous qui s'affichent publiquement risquent un contrôle fiscal ou de perdre la garde de leurs enfants. La militante prostituée et écrivain Claire Cartonnet a dû fuir aux Etats-Unis écrasée par les dettes. »
Deuxième volet de notre enquête, lundi
Source Rue 89